L'APAISEMENT OU LA DERNIERE CRISE DE JULES MURZI. 2
Scène II
(Même tableau) Les mêmes. Un Prêtre.
LE PRÊTRE. (Qui depuis un instant a entr’ouvert la porte et entendu les dernières paroles de Lapique.)
Qui parle Paradis, dans la maison Lapique ?
L’Église seule a droit à cet usage antique.
LE MARQUIS
Aussi vous laisse-t-on ce droit sans hésiter
Et nul de nous ne songe à vous le, contester…
Le Seigneur de céans est d’ailleurs un athée
Qui se ferait du prêtre une bonne curée…
LE PRÊTRE (sacerdotal)
Celui qui ne craint pas les Ministres de Dieu
Est mûr pour la potence, ou le fer ou le feu…
LE MARQUIS (plaisantin.)
Fichtre !... En ce cas, je plains ce bon ami Lapique
D’être mûr pour le feu, la potence ou la pique ;
Car si ce que tu dis est vrai, mon cher abbé
De l’un de ces fléaux Lapique a mérité !...
Il est, non seulement de croyance coupable,
Mais encor », mais surtout, ce qui le rend pendable
C’est qu’il est démocrate, et de plus… Franc-maçon !... (Il rit)
LE PRÊTRE (congestionné d’indignation)
Franc-maçon ?...
LE MARQUIS
Hélas ! Et de belle façon !...
On le cite en hauts lieux, au Temple et hors du Temple
Comme un de ces héros que l’on donne en exemple
À tous les communaux de ce monde spécial
Qui prétend rénover le vieil état social…
C’est un fou… mais un fou que pour ma part j’estime
Parce qu’il est sincère et simplement victime
De ses opinions ! Je suis sûr que son cœur
Les regarde plutôt avec un air moqueur…
Mais il est abusé par les chimères folles
Qui remplissent si bien ce siècle de paroles !...
LE PRÊTRE
En effet, maintenant c’est la mode du jour :
On nourrit ce bon peuple avec de beaux discours ;
On lui fait entrevoir les rêves chimériques
(solennel)
Des écoles sans Dieu, des maîtres sans vertus
Voilà ce que l’on donne aux enfants de Jésus !
(Extatique et invocateur)
Hélas ! Pourquoi, mon Dieu, gardez-vous vos miracles ?
N’est-il pas temps encor d’arrêter la débâcle
De tout ce qui fut grand et beau dans ce pays ?
Voyez dans quel état les francs-maçons l’ont mis !...
N’aurez-vous pas pitié de vos sujets fidèles
Qui, pour servir vos lois, ont usé tout leur zèle,
Qui, pour vous, ont souffert, et, pour vous ont versé
Tous les pleurs de leurs yeux, à présent desséchés ?...
O. Dieu, mon Dieu clément ! Dieu de miséricorde.
Exauce enfin mes vœux !...
LAPIQUE (désignant le prêtre et le Marquis.)
Donne-leur une corde
Pour qu’ils aillent tous deux se pendre aux clous prochains
Et m’épargner, à moi, d’entendre leurs refrains…
(Regardant les spectateurs)
Sont-ils beaux, mes amis, le Marquis et le Prêtre !...
Dois-je rire, ou bien les flanquer par la fenêtre ?...
Riaient-ils en parlant ?... Étaient-ils sérieux ?...
Sont-ce bien mes amis que j’ai devant les yeux ?
Hé quoi ! C’est donc ainsi que l’amitié se paie ?
Ne pouvant me convaincre, on me traîne à la claie !
Et ce sont eux, pourtant, ce Prêtre et ce Marquis,
Les vrais représentants de
Moi, je suis le paria, l’être que l’on déteste
Et que l’on fuit au loin comme l’on fuit la peste !
(Au Marquis et au Prêtre)
Voyons, puisque je dois subir la pendaison. —
Pourquoi venez-vous donc fréquenter ma maison ?
(Au Marquis)
Si votre Roi savait, par un espion habile
Que vous venez ici… Vous auriez de la bile !
(Au Prêtre)
Et, si ton Dieu savait tes visites chez moi,
M’est avis que ton cœur en tremblerait d’émoi…
(Le Marquis et le Prêtre se tiennent
les côtes en se tordant de rire.)
Mais, vous riez, gredins !... Et moi, je suis la farce
De vos rires moqueurs !... C’est bien, allons en face
Chez Romain Bouche d’Or, le roi des Mastroquets…
Le Marquis et le Prêtre. (Ensemble et à pleine voix.)
Finir de converser, en jouant au piquet !...
(Ils sortent tous les trois, en se bousculant.)