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MBGC Editions Monique Bellini

L'APAISEMENT OU LA DERNIERE CRISE DE JULES MURZI.

10 Mai 2022 , Rédigé par MBGC

 

 

 

 

Jules Murzi

 

 

 

L’Apaisement

Ou

La dernière Crise

 

Tragédie en quatre actes, en vers

 

 

 

M.B.G.C.

__________________________________________________________

 

PERSONNAGES

 

VERDURON  (marquis de)

 

LAPIQUE Eugène   (maître charron)

 

Abbé BASILE

 

THÉRÈSE     (Fille du charron)

 

LUCIEN         (Fils du marquis)

 

______________________________________________________________

 

ACTE 1°

 

Scène I

 

 

La scène représente une grande charronnerie.

Une salle au rez-de-chaussée, servant de bureau.

Le patron Mr Lapique est assis à sa table de travail. En face de lui, négligemment adossé au dossier d’un fauteuil, son ami et client, le Marquis de Verduron

Lapique (semblant poursuivre une conversation déjà commencée et sur un ton persifleur).

Voilà plus de trente ans qu’on dit la même chose !

Rien ne va… tout est cher et la vie est morose…

La France se dépeuple et bientôt, l’Allemand

Prendra notre pays sans beaucoup de tourment.

Plus rien, plus rien ne vibre en cette terre épique

Où jadis, tant d’efforts, dignes du temps antique

Couronnèrent son front de lauriers triomphants…

Plus rien de beau n’émeut le cœur de ses enfants.

C’est un fait démontré que notre belle France,

Tombe de plus en plus en dégénérescence ;

Et ce n’est un secret pour personne aujourd’hui,

Que le Dieu des vertus de chez nous s’est enfui…

(Moqueur)

Oh ! là. là… Je sais tout… je connais la musique…

Si rien ne va, c’est la faute de la République !

Pardi ! C’est naturel… ce régime est pourri

Comme l’abcès que crève un coup de bistouri !

C’est de lui que nous vient tout le mal, je suppose

Détruisons-le, et nous vivrons la vie en rose !...

N’est-ce pas votre avis ? Haro sur le baudet !...

Allons, soyez donc franc, monsieur l’insatisfait ;

Dites votre pensée entière et sans mélanges,

Comme il sied à ceux-là qui fréquentent les anges !...

 

LE MARQUIS

Vous persiflez, mon cher, avec beaucoup d’esprit,

Et le verbe, chez vous, vaut autant que l’écrit…

Vous êtes éloquent, moqueur, diabolique,

Mais… Qui donc en voudrait de votre République ?

Voulez-vous qu’à tous deux nous épluchions un peu ?

 

LAPIQUE

Oui, c’est ça… Passons-lui la main dans les cheveux.

Versons-lui dans le sang un peu de cette bile.

Que Messire Escobar habilement distille ;

Recouvrons-lui le corps de tous les oripeaux

Que nous irons chercher sur de vagues tréteaux,

Mettons-lui sur la face un masque d’Impudique,

Puis, disons aux passants : voilà la République !...

C’est bien cela, n’est-ce pas, Monsieur le Marquis ?

Mais c’est un jeu d’enfants ou de gens de maquis

Que de vouloir juger sainement un régime

Que l’on a maquillé !... C’est de la pure frime !

Et tenez… Vous ressemblez au tabellion

Qui, vous vendant un ours, dit que c’est un lion…

Moi, ce n’est pas ainsi que je rends la justice !

Lorsque je veux juger, j’ignore l’artifice ;

Je vais tout droit au but, et je prends mon sujet

Non tel que je le voudrais, mais bien tel, qu’il est,

Un chat c’est bien un chat et non pas une chèvre,

Et, vous n’êtes pas sain, si vous avez la fièvre…

Or, j’ai souvent ouï vos propos agressifs

Pour savoir que toujours vous fûtes subversif

Et, de parti-pris !... Vous raisonnez avec flamme,

Avec passion, — comme font toutes les femmes ! –

Sans mesure et sans austérité, ni sang froid…

Votre Justice est toute dans ce mot : le Rrroi !...

 

LE MARQUIS

Je pourrais, cher ami, sans aigrir ma réplique

Vous retourner le mot, car, pour la République,

On connaît votre foi… votre feu, votre ardeur…

Que nul ne peut, ici, taxer de tiédeur !

Mon Dieu, vous faites bien de défendre la cause

Qui vous remplit le cœur !... Moi, c’est la même chose,

Je fais tout comme vous… mais pas plus… Je défends

Mon Roi !... C’est mon droit, je suppose… et je prétends

servir autant que vous, l’esprit de la justice

sans l’entourer jamais du fil de la malice.

Ceci dit, croyez bien que je serais heureux

D’applaudir des deux mains vos discours chaleureux

E d’avoir, comme vous, la foi démocratique

Et de crier très haut : Vive la République,

Si mes yeux, grands ouverts, ne voyaient attristés,

Le spectacle effrayant de ses iniquités…

(Lapique fait mine de protester)

Oh, ne protestez pas ! Écoutez, je vous prie,

Ce qu’il faut qu’aujourd’hui je vous dise et vous crie :

Je hais de tout mon cœur votre gouvernement

Où tout ce qui se fait est blâmable ou dément…

Le peuple est exploité, que c’en est presque un crime

Plus qu’il ne le fut jamais sous l’ancien régime…

De toutes parts, il est plumé, comme un oiseau

Du jour de sa naissance au jour de son tombeau.

C’est à qui lui prendra le meilleur de sa vie !

On le dépouille ici, plus loin, on le spolie ;

Tout augmente pour lui : les vivres, le loyer ;

Les impôts, les devoirs, les charges du foyer ;

Le patron prend sa peine, et l’État prend sa bourse,

Et, du matin au soir, chacun d’eux le détrousse !

 

LAPIQUE

Pourtant, la République a promulgué des lois…

 

LE MARQUIS

Qui couvre d’un manteau tous ses vilains exploits !

Mais, pour les ouvriers, mais pour le peuple esclave,

Vos lois n’ont d’autre objet qu’à lui servir d’entrave !

 

LAPIQUE

Oh, je sais bien, parbleu, que tout n’est pas parfait

Et que le champ est grand de ce qui n’est pas fait,

Mais convenez au moins qu’il est des lois sublimes

Pour protéger les faibles et pour punir les crimes

Et que, s’il reste encor, debout, quelques abus

Nous ne négligeons rien pour qu’ils n’existent plus.

La République, enfin, peut donner à la masse…

 

LE MARQUIS (sardonique)

Le pain qu’il est urgent qu’on donne à sa carcasse !...

 

LAPIQUE (grave)

Non ! Non ! Monsieur le Marquis, mais bien l’Égalité

Mais la force en soi-même avec la Liberté

Et la Fraternité !

 

LE MARQUIS (narquois)

Puis de gros pains de beurre,

Et puis de beaux palais, sous les ponts, pour demeure,

Et puis des Louis d’or et des piles d’écus,

Afin que, désormais, ils ne marchent plus nus…

Puis encore, quoi donc ? Ah ! Une automobile

Pour s’en aller rêver loin des bruits de la ville…

Et puis une compagne, avec des yeux si bleus

Que d’elle l’on dira : « C’est un ange des cieux ! »

Et puis encore, et puis, — Mais, quoi donc, tout de même ?

J’y suis !... Puisqu’il est souverain… un diadème !

Et ce sera complet, et si brillant, ma foi

Que sous votre Régime, un Peuple sera Roi !

Quel superbe avenir ! Quel alléchant prodige !

Tous les hommes égaux, riches, puissants… que dis-je ?

Tous les hommes des rois avec des trônes en or

Dans des palais de rêve, où jamais l’on ne dort,

Où la fête finit lorsqu’elle recommence

Dans la splendeur du rire et l’écho des romances…

Qu’il fera bon de vivre en ces lieux enchantés

Et bénis !... Plus d’exploiteurs ! Donc, plus d’exploités

Mais palsambleu ! J’en suis de votre République !

Seulement… (Une pause) je vois bien que d’un rêve utopique

Vous êtes le jouet… Alors, allez plus loin

Conter les songes creux dont vous avez pris soin…

Moi, je garde ma foi pour notre Monarchie

Seule digne, ici-bas, de guider la Patrie !...

 

LAPIQUE (bondissant)

Et moi, républicain dans l’âme et dans le sang

Je ris de ton dépit, ô, Marquis tout-puissant

Et je haïs, grandement, dans mon cœur qui bouillonne

Ton Roi, fleurdelysé, dans sa face bouffonne !...

Ce peuple, assez longtemps, vécut sous son carcan

Pour n’en vouloir jamais, même pour passe-temps !

Aujourd’hui, libre enfin, maître de sa personne,

Il attend sagement que, pour lui, l’heure sonne !

Et cette heure viendra, marquant les temps nouveaux

De Justice et d’Amour, scellés sur vos tombeaux !

Ah ! Vous croyez, Marquis et Ducs, barons et Comtes

Hobereaux d’autrefois, dont je ne sais le compte,

Que ce peuple abusé par des élus félons

Viendra vous rappeler pour châtier ses larrons ?...

Vous pensez, qu’abreuvé de deuils et de larmes,

Il serait assez fou pour mettre bas les armes

Et que, désespéré d’avoir longtemps souffert

Il viendra vous chercher pour reforger ses fers ?
Détrompez-vous, Messieurs, vos espoirs sont futiles

Et vos appels vibrants resteront inutiles !

Le peuple, par lui-même, aura raison de tout

Sans qu’il soit obligé d’avoir recours à vous…
Lui-même il abattra les abus, d’où qu’ils viennent

Et reprendra ses droits à ceux qui les détiennent

Et, fort de sa puissance et fier de sa raison

Maître Jean sera prince, un jour, dans sa maison.

 

LE MARQUIS

Là… Là… Là… Ne vous fâchez pas, Maître Lapique,

criez tant qu’il vous plait : Vive la République !

Mais, de grâce, avouez que vos hommes d’État

Ont moins l’air d’être grands que le dernier des fats !

Vos sénateurs, vos Députés et vos Ministres

Peuvent, en s’assemblant, ressembler à des cuistres,

Ils en ont la prestance et la mine et les… dents

Puisqu’ils mettent toujours ce bon peuple… dedans !

C’est logique, après tout, car, qu’ils soient blancs ou rouges,

Où les prenez-vous donc, sinon tous dans des bouges ?

 

LAPIQUE (outré)

Oh !...

 

LE MARQUIS

Non !... N’essayez pas, par des discours hardis

D’élever, devant moi, la voix pour ces bandits !

Il n’en est pas un seul qui soit digne d’estime,

Pas un qui n’ait semé son chemin de victimes,

Pas un qui n’ait conquis sa gloire et son mandat

Sans avoir sur le cœur quelque lâche attentat !

Tous, petits et grands, simples élus ou Ministres

Tous, malgré leur rang, ont des figures sinistres !

Ils se sont abattus, ainsi que des vautours

Sur les fonds de l’État que, chacun à son tour,

Du bec ou de la griffe a pillé sans mesure…

Mais tout lasse à la fin, et le peuple murmure…

Déjà, de tous côtés, des bas-fonds de douleurs,

De ces endroits cachés où s’entassent les pleurs

De tous les exploités que l’on couvrit de chaines

Montent les cris ardents de vengeance et de haines !

Déjà de tous côtés, vers le Roi, leur Sauveur,

Je perçois nettement les appels précurseurs,

Et bientôt n’en déplaise à mon ami Lapique,

Nous creuserons sa fosse à cette République !...

 

LAPIQUE (indulgent)

Tous doux, mon bon Marquis, ne courez pas autant

Refrénez vos transports, car il est toujours temps

D’apprendre à ses dépens, ce qu’il reste d’un rêve

Que le moindre rayon de la Vérité crève !...

Hélas ! En ai-je fait de ces rêves charmants

De ces rêves dorés, alors que tout enfant

Sous le regard ému de ma mère chérie,

Je m’endormais, heureux, l’âme tout attendrie,

Puis, en me réveillant le matin, chaque jour,

À maman qui riait ou grondait tour à tour

Je disais, sans tarder, de mes nuits tous les songes…

Les rêves sont forts beaux, mais ce sont des mensonges,

Mon pauvre enfant chéri !... N’y cours jamais après,

car, pour les rattraper, ton cœur s’y briserait…

C’est pour vous, cher Marquis, qui vous grisez d’un rêve

Que ma mère ajoutait, de sa voix tendre et brève :

Le Rêve est un mensonge et sans doute, un miroir

De tous les désirs fous, nés de tous les espoirs,

Car, vous m’avez tout l’air, avec vos yeux en flammes

D’embraser vos discours par le feu de votre âme !...

Vous prenez vos désirs pour des réalités,

Comme l’on-dit chez nous !... Tels les enfants gâtés…

Oui, le peuple gronde, et s’agite et menace

D’être enfin sans pitié, sans faiblesse et sans grâce

Pour tous les Potentats qui confisquent ses droits !

Mais ce n’est pas, Marquis, pour les beaux yeux d’un Roi.

C’est pour lui qu’aujourd’hui, ce bon peuple travaille

Pour lui seul qu’il s’apprête à chasser la canaille

Du Temple de Justice, ou le dernier bandit

Ouvrira, par sa mort, son nouveau Paradis !

 

                                ****

 

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