TOUSSAINTE LA FILLE AINEE DE LUNETTA

        Ayant quitté la Corse à l’âge de six ans, Toussainte avait connu des moments très difficiles durant la guerre de quatorze. Elle avait vite compris qu’il était inutile de compter sur les autres, et surtout pas, sur une mère inconsciente et désordonnée. Coupée du reste de sa famille, Toussainte s’était retrouvée dans le vieux quartier de Marseille avec la charge d’une sœur fragile de trois ans sa cadette. Toussainte était devenue adulte.

          Un océan la séparait de ses chers grands-parents, des braises de la cheminée, des soupes chaudes. Elle était loin de sa tante Pierrine qui invectivait continuellement sa sœur et la forçait à suivre ses précieux conseils ; elle était loin de ce père qui était un soutien, un refuge et dont la proche présence obligeait Lùnetta à conserver un semblant d’équilibre. Toussainte avait été perdue, abandonnée. Elle devait survivre et s’occuper de la petite sœur. Pour ne plus avoir froid, elle apprit à mettre du bois dans la cuisinière. Pour ne plus avoir faim, elle mit de l’eau dans la marmite, elle coupa des légumes et les jeta dedans. Elle en avait assez de l’aumône des voisines, des malheureux biscuits et de l’infâme barre chocolatée.  Bien qu’étant la préférée, la plus belle et la mieux vêtue, Toussainte avait profondément souffert, il était donc naturel qu’elle souhaite retrouver le cocon brisé de son enfance. Tante Toussainte, tout comme moi, adorait la terre.