LUNETTA ET LES ANNEES FOLLES.

Grand-mère s’était essayée à la lecture de la grande Colette. Elle y avait passé de longs moments, étudiant et analysant chaque phrase avec la plus consciencieuse rigueur. Le style était parfois d’un excellent niveau, trop élevé pour ma grand-mère qui finit par jeter les bouquins aux orties, persuadée qu’il était inutile de se creuser les méninges pour lire des livres dont les histoires étaient assez quelconques et le style trop recherché.

            Pourtant Lùnetta aurait bien voulu savoir. Elle qui s’ouvrait avec complaisance à tous les potins de l’histoire, supputait trop souvent la nature des relations de l’auteur de « Chéri » et de ses amies très chères dont elle faisait allusion dans quelques-uns de ses ouvrages.

            Lùnetta voulait savoir, Lùnetta allait apprendre. Elle allait étudier le comportement de cette génération de femmes célèbres qui bousculaient les préjugés. Ces femmes qui déchiraient le cœur des hommes, que l’on disait frigides, mais qui débordaient de passion envers les douces copines.

            Renée Vivien avait signé son premier ouvrage d’un prénom masculin. Il s’agissait d’un recueil de poèmes dédiant à la femme un amour profond et sensuel. Cette Renée perverse devait s’envoyer toute une collection de belles dames d’autrefois. Parmi les plus célèbres se trouvaient Émilienne d’Alençon, Lucie Delarue-Mardrus, Liane de Pougy, Cléo de Mérode, Sarah Bernhardt et évidemment la grande Colette. Dans son jardin, la poétesse réunissait ses douces désirables, afin de célébrer les rites des mystères saphiques. On dit que la belle Mata-Hari y dansa nue au cours d’une assemblée choisie.

Grand-mère était dépassée par ces mœurs équivoques, et ne pouvant accepter qu’une femme soit « putaine » elle ne pouvait tolérer qu’une femme soit lesbienne.