L'APAISEMENT OU LA DERNIERE CRISE DE JULES MURZI. 3
Un salon meublé sans recherche, mais coquet et plaisant
Au moment où le rideau se lève, Thérèse est assise à une
Petite table d’ouvrage et feuillette un livre. Au bout d’un
Instant, elle quitte le livre, s’étire, se frotte les yeux, et,
Se levant brusquement, elle va, un instant, appuyer sa tête
Contre une vitre de la fenêtre, puis revient s’asseoir.
THÉRÈSE
(Sur un ton agacé.)
Il pleut toujours… (Une pause) Mon Dieu, que je suis désolée !
Lucien ne viendra pas : la route est inondée
Et jamais sa voiture avec son cheval blanc
Ne pourra, sans danger, atteindre ce versant…
Quelle guigne que j’ai ! C’est à crier de rage !...
Hier, c’était la chasse…, aujourd’hui, c’est l’orage…
(Coups de sonnette)
Mais, on sonne… C’est lui !... Comme mon cœur s’émeut
Comme il m’aime ! Venir, par ce temps orageux…
Ah ! Si je n’écoutais que les cris de mon âme
Comme je serais fière, un jour, d’être sa femme !
Et, ce serait demain si les hommes, si fous,
Ne politicaillaient envers et contre nous !
On serait si heureux sans cette politique
Qui divise et qui rend les hommes despotiques !
Elle nous les prend tous, elle en fait ses jouets
Et nous, les femmes, nous avons tous les regrets.
Ah, mais !... Ça finira ! Cette vie impossible
Ne peut plus durer… Ce serait par trop risible
Si, devant cette gueuse, aux regards effrontés
Nous ne dressions enfin nos regards irrités !
Mais, j’entends Lucien… Cachons notre colère
Soyons calme,… Faisons-nous belle.
Scène IV THÉRÈSE – LUCIEN
LUCIEN (entrant)
Bonjour, chère !
(S’avançant et lui prenant les mains en la regardant avec amour.)
Toujours et toujours belle !... Oh, que je suis heureux
lorsque je vous revois !... Je suis si malheureux
loin de vous… Loin de toi !...
THÉRÈSE
Prenez donc cette chaise
Et mettez-vous là… près de moi…
LUCIEN
Chère Thérèse !...
THÉRÈSE (câline)
Ainsi, vous m’aimez toujours beaucoup ?...
LUCIEN (avec transport)
Plus que Dieu,
Plus de moi, plus que tout !... Mon amour, c’est du feu !
Mon amour, dans mon cœur, c’est un réchaud de braise,
Mon amour, c’est ma vie offerte à ma Thérèse
Mon amour, c’est ta chair, c’est ta voix, c’est tes yeux,
C’est ton rire divin qui me transporte aux cieux,
C’est le charme épandu de toute ta personne
Et qui te fait pareille à
Ah ! Tu voulais savoir si je t’aime beaucoup.
Comment ne vois-tu pas que te toi je suis fou !...
THÉRÈSE (soudainement soucieuse)
Je le sais… je le vois, je le sens, et j’en pleure…
Vous m’aimez ardemment comme j’aime à cette heure ;
Mais, cet amour sacré, dont tous deux, nous brûlons
N’aura pas le succès que nous en espérons…
LUCIEN (anxieux)
Que dites-vous, Thérèse ?... Oh ! Ciel, je vois tes larmes !
Qui vous cause aujourd’hui ce noir sujet d’alarmes ?
Pourquoi désespérer ? Que crains-tu donc enfin ?
THÉRÈSE (avec peine)
Hélas ! Pour notre amour le plus mauvais destin !
Je crains que nos parents, tous les deux despotiques
N’immolent notre union aux devoirs politiques,
Ils sont tant enragés à crier sur les toits
L’un, pour
Que j’ai peur que jamais entr’eux l’accord se fasse…
LUCIEN (affirmatif et résolu)
Il se fera, Thérèse !... Espérez… Votre grâce,
Notre amour, nos pleurs et nos supplications
Du cœur de nos parents auront vite raison
(Confiant et tendre)
Ils ne sont pas méchants… Ils sont bons, ils nous aiment
Nous sommes leurs chéris, et… Nos pères, eux mêmes,
Applaudiront au choix que nous nous sommes fait
Vous verrez que tous deux en seront satisfaits !
J’en suis sûr, voyez-vous, j’en ai la certitude !...
Et d’ailleurs — je puis vous le promettre, — ce soir,
À papa, qu’il me tarde à présent de revoir
Afin de lui conter l’excellente nouvelle
De l’amour qui nous tient sous sa douce tutelle
J’arracherai l’aveu de son consentement…
Tâchez d’en faire autant, au vôtre, habilement.
THÉRÈSE
Et ! bien, oui, ce soir ;… décidons-nous, le temps presse
Je ne peux plus porter ce doute qui m’oppresse ;
Il le faut dissiper ! Nous saurons… mais partez ;
Voici la nuit qui vient… et, surtout, évitez
Qu’en sortant de chez moi quelqu’un ne vous surprenne…
LUCIEN
N’ayez crainte,… je pars,… a demain, belle reine !
(Il sort en lui envoyant un baiser.)
Scène V
Thérèse, puis Lapique
THÉRÈSE (seule)
(Elle suit des yeux, derrière sa fenêtre le départ de Lucien. Au bout d’un moment, elle rentre et va se planter devant la glace de son salon.)
O tête ! Tu pâlis sous le poids de l’amour…
Tu trembles !... Et, c’est pourtant ce soir, le grand jour !
Auras-tu la fierté de regarder en face
Ce père, tant aimé, dont tu crains la disgrâce ?
Il le faut, cependant ; ton cœur en saigne trop !
Tu souffres de ne pas prononcer un seul mot
Qui dévore ta chair : Ô mon père, je l’aime !...
— Voyons !... Sois vaillante et forte !... au loin, la peur blême
Et la timidité ! Montre un regard serein
Et dis-lui fermement ce que cache ton sein…
N’aimes -tu pas Lucien, que ton cœur tant hésite ?
Parle-lui,… dis-lui tout… et, pour qu’il ne t’évite
L’aveu que ce soir même il lui faut arracher
Jette-lui ton, cœur nu, prêt à se déchirer ;
(Se retournant, l’air décidé.)
Oui, je parlerai… j’oserai le lui dire…
Je prendrai mon air tendre avec un doux sourire,
Mon air câlin… mon air aimant ; puis, tout à coup,
En l’embrassant très fort, j’enlacerai son cou…
Alors, tout doucement, dénouant mon étreinte,
Oui, c’est ça… c’est bien ça… Soyons fripon, mon cœur !
— À ce prix seulement vous sortirez vainqueur !
(Riant)
Ce papa bien-aimé ! Va-t-il faire la tête
Lui qui me croit toujours une enfant, sa fillette !
Lorsque je lui dirai le secret de mon cœur !
J’entends déjà sa voix, disant d’un air moqueur :
Te marier ? Toi ? Mâtin ! Quelle belle dame !
Mais tu n’y songes pas ? Attends d’être une femme,…
D’avoir au moins vingt ans ! Mais à ton âge, on rit,
On chante, on saute,… on aime son papa chéri,
Qui seul doit te chercher l’époux que tu mérites…
À ces mots, je m’insurge et, sitôt, je m’irrite ;
Et je pleure, en jetant des cris désespérés
Et je traîne à ses pieds mes genoux déchirés
Et mes yeux ruisselants des larmes qui s’écoulent
Et puis, dans des ressauts par terre je me roule…
Alors, troublé, palpitant, plein d’émotion,
Mon père, à deux genoux m’embrassera le front,
Puis, en me relevant avec un soin extrême
Il dira : Mon enfant, ô ma fille, que j’aime !
Regarde, souris-moi… Tes vœux sont exaucés,
Car dès demain j’irai chercher ton fiancé…
Et voilà comment on peut gagner la partie,
Quand on sait finement jouer la comédie !...
Oh ! Que je suis contente ! Et moi qui m’effrayais !
Mon qui me troublais toute alors que j’y songeais !...
De quoi tremblais-je donc ? Les pères sont farouches ?
Mais sotte que j’étais, un baiser sur la bouche
Les fait capituler !..