LE PRIMITIF AMERINDIEN
Nous avons parlé des Apaches comme d’un peuple toujours existant, toujours agissant ; en réalité, il ne compte plus. Tant qu’ils n’étaient que des sauvages au milieu d’autres sauvages, leur population se maintenait telle quelle, malgré la faible fécondité des femmes, malgré les hasards des combats ; mais quand du haut de leurs montagnes, ils distinguèrent à l’horizon le panache des locomotives, leur arrêt de mort fut prononcé. Pressée de jouir, dévorée de désirs, s’inventant des besoins, notre civilisation extirpe les peuplades envahies, parce qu’elles ne peuvent se plier, instantanément, à la transformation qui lui a coûté une vingtaine de siècles. Or, les peuples chasseurs, tels que les Peaux-Rouges, se montrent récalcitrants à notre culture. Non qu’ils soient inintelligents, mais leur intelligence s’enferme de parti pris dans une spécialité. Né chasseur, l’Apache mourra chasseur. De plus, il est nomade, et, comme dit la sagesse des nations : pierre qui roule n’amasse point de mousse. Tant que le corps n’a pas sa demeure fixe, l’esprit difficilement trouvera son assiette, difficilement s’habituera aux longues réflexions, aux patientes études qui arrachent à la nature ses secrets. Sans y mettre la moindre sévérité, et sans tenir à le « ravaler plus bas que la brute », on peut douter que l’intelligence de l’Apache soit vraiment supérieure à celle du castor, ou même égale à celle des fourmis qui savent récolter des grains, qui savent en semer, nous dit-on. — À un de ces centaures, on demandait pourquoi il ne plantait pas du maïs, pour se garantir des méchances de la chasse, ainsi que le font, depuis temps immémorial, les Pueblos qu’il connaissait bien. — « Planter du maïs ? Pour que les camarades mangent la récolte sur pied, avant qu’elle n’ait mûrit ? »
EXTRAIT LES PRIMITIFS
ELIE RECLUS
CHAMEROT 1885.