SOUVENIR DE CARBUCCIA.

LA MEULE DE FOIN.           

Au moment de ma confirmation, mère reçut un courrier de Corse, dans lequel on me demandait d’être la marraine du fils de l’un de mes cousins. C’était merveilleux pour moi qui partait rarement en vacances. Je devais enfin revoir l’île de Beauté et rencontrer un garnement de mon âge, avec lequel j’allais sceller une grande amitié. Il s’appelait Toussaint Cotoni.

            Fils d’industriels d’Ajaccio, il était en pension chez des proches cousins, ses parents ayant trop à faire pour s’occuper de lui. C’était un jeune garçon gentil et turbulent, il n’était pas particulièrement beau, mais il avait une assurance à toute épreuve et il trouvait toujours le moyen de nous faire commettre quelques bêtises afin de rire un brin ou de passer le temps.

            Un après-midi, alors que Charlotte et moi nous nous balancions, assises à chaque extrémité d’une planche en équilibre sur un énorme caillou, Toussaint passa par là. Il nous dit quelques mots, puis avisant une meule de foin, il y grimpa et orgueilleusement, il en toucha la cime. Mal nous en prit. Aussitôt, nous fîmes pareil. Toussaint s’éclipsa. Mais notre jeu était par trop agréable, d’autres gamins vinrent se joindre à nous, jusqu’au moment fatidique. La meule de foin rendit l’âme et son support se coucha lourdement sur le sol.

            Ce fut un scandale dans le village. Les propriétaires de la meule essayèrent vainement de la reconstituer, mais elle était fichue. Ils allèrent jusqu’à nous accuser d’avoir mangé le foin. Nous fûmes copieusement grondés. Toussaint se tenait les côtes, se frottait les mains. Il avait joué un bon tour et ne se souciait nullement de ma tristesse. Mon frère et les parents de Monette financèrent les dégâts.