LE REVE DU VICE-ROI DE SARDAIGNE
EXTRAIT LE CHEVALIER ROZE.
Le soir même, le jeune homme contait cette étrange scène, et dès le lendemain, toute la ville parlait du dérangement des facultés intellectuelles du vice-roi, qui avait ordonné de tirer à boulets rouges sur quatre navires de commerce qui demandaient l’entrée du port. Directive que le capitaine avait refusé d’exécuter. Trois jours après, partaient pour Turin 20 lettres, qui, bien qu’écrites par des personnes différentes, étaient identiques pour le fond. Chacune demandait le remplacement immédiat du gouverneur qui avait perdu la raison ! Cependant, le baron Filippo-Guglielmo de Saint-Rémy ne fut point remplacé. Et, deux mois plus tard…
Le 12 juillet 1720, la population de Cagliari est en liesse. Les habitants ont sorti les habits de fête, les maisons les plus riches comme les plus pauvres sont soigneusement décorées. On danse, on s’étreint sans se connaître et l’on échange des paroles telles :
— Que le gouverneur soit béni !
— Dieu nous a envoyé un saint homme pour nous protéger du fléau !
C’est en fin de soirée que le baron de Saint-Rémy apparut au balcon, afin de donner satisfaction à la foule qui hurle son nom depuis des heures. Il est souriant, heureux. Il salue à droite et à gauche tandis que l’on crie, que l’on jette les chapeaux dans les airs. Filippo-Guglielmo Pallavicini de Saint-Rémy n’est plus l’irresponsable qui fait foi à de vulgaires songes ; le dérangé qui croit aux fantômes et qui invoque les esprits. Le gouverneur est devenu le bienfaiteur, le sauveur qui a protégé son peuple du plus grand, du plus horrible des fléaux. Dans le courant de la matinée, les habitants de Cagliari ont appris que la peste faisait des ravages dans Marseille et qu’elle avait été amenée par le Grand-Saint-Antoine, ce navire auquel le baron de Saint-Rémy avait aussi énergiquement refusé l’accès.