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MBGC Editions Monique Bellini

TRAGEDIE DES CALANQUES. HISTOIRE DE PIERRE DE GASQUET

9 Mars 2022 , Rédigé par MBGC Editions Publié dans #Extraits des livres

          Extrait : Le temps s'en va, Monica.

           

             Pierre de Gasquet a dix-neuf ans. Il est grand, séduisant. Il étudie le droit avec beaucoup de sagesse. Il assure sa fonction de chef de troupe chez les scouts de France, avec la plus profonde rigueur. Il n’a pas le temps de penser aux filles.

             Pierre est un sportsman de grande classe qui rêve de franchir les obstacles, de venir à bout de hautes épreuves, de participer à des marathons. Ce matin-là, Pierre a profité de l’automobile de son père pour retrouver ses amis qui l’attendent sur la place de la Bourse. Ils prendront le tramway qui les conduira jusqu’au terminus du Redon. Puis, ce sera la longue marche, la grande aventure.  Ils se serrent la main avec de larges sourires.

            — Salut, Jacques. Salut, Jules.  

           Ils ont le même goût du risque, des folles épopées et s’ils ne peuvent aller chasser le tigre du Bengale ou escalader l’Himalaya, ils vont vers l’aride massif de Marseilleveyre afin de cheminer des kilomètres durant de leur pas lent et assuré.

         En ce vendredi 18 octobre 1929, Pierre de Gasquet, partait vers l’exploit, l’espoir de vaincre, la volonté de dominer. Cette journée s’était déroulée sans incident. Les trois jeunes gens avaient visité plusieurs sites et le soir ils campèrent au lieu-dit : « La Vigie » qui surmonte la Calanque de Deverson, entre Cassis et Sormiou. Après une nuit passée sous les étoiles, les trois copains décidèrent de descendre vers la mer en empruntant comme il se doit, le sentier en corniche. Ils se baignèrent, ils déjeunèrent. Mais, au moment de prendre le chemin du retour, Pierre s’arrêta pour admirer la falaise.

            — Les amis, c’est par là que je vais remonter !

            Les copains sursautèrent.

            — Tu es malade !

            — Tu n’y penses pas ! C’est de la folie ! Tu vas te tuer ! La falaise est à la verticale ! Pierre, tu n’as aucune chance de réussir.  

            — Je veux pourtant essayer !

            — Mais, c’est de l’inconscience ! Tu ne peux pas tenter l'escalade, sans cordes, sans pics.  

            Pierre ne semblait même plus les entendre. Il regardait le rocher avec une fixité étrange. On eut dit qu’il se trouvait en état d’hypnose.

            — Allez viens, dit Jules Brillet en lui tapotant l’épaule.

            Il ne répondit pas.

            — Pierre, viens, je t’en prie...

            — Non, je n’irai pas avec vous ! Je veux escalader la falaise et il est inutile de chercher à m’en dissuader. Je suis parfaitement conscient qu’il ne s’agit pas d’une mince affaire, mais je veux tenter cette épreuve, cela me plaît, cela m’attire, cela me fascine. Je sais... Je sais que j’ai peu de chances d’arriver là-haut. Mais qu’importe, je dois le faire, c’est ainsi !

            — Pourquoi ? demanda l’ami Jules. Cela est nécessaire à ton équilibre ? Je trouve ça complètement stupide. Mettre sa vie en danger pour escalader une falaise, cela est complètement dénué de sens. Pierre veut faire une petite grimpette, comme ça, pour se faire plaisir. Il vient de prendre cette décision, aussi simplement que s’il projetait de manger des gâteaux, aller voir un film, ou boire un verre sur la Corniche. Pierre, tu n’as pas le droit de mettre tes jours en danger. Tu n’as pas le droit de prendre de pareils risques. Par ailleurs, tu ne peux décider une entreprise aussi périlleuse sans l’accord de tes parents. Je te rappelle que tu n’as pas atteint ta majorité.

            — Mes parents, tu n’as qu’à aller les chercher plutôt que discuter de la sorte.

            Jules a baissé les yeux. Pierre, eut un léger sourire. Il avait gagné. Il dit :

          — Prenez mes affaires et le sentier. Vous m’attendrez à la Vigie. Je ne serai pas long, n’ayez aucune crainte, d’ici une heure ou deux, je vous aurai rejoint... Allez, les gars. Ne restez pas là à vous morfondre. Commencez à monter, car si j’arrive avant vous, je vais me mettre en colère.

            Pierre éclata de rire. Il était pleinement heureux. Il s’éloigna vers le bas de la roche, fit un grand signe de la main en se retournant une dernière fois.  

            — Salut, les amis. À tout à l’heure. Et ne faites pas cette tête ! 

     Jules Brillet et Jacques Bérengier étaient tristes et inquiets, ils ne comprenaient pas ce qui se passait dans l’esprit de Pierre. Pierre, qui à l’accoutumée était si raisonnable. Ils étaient silencieux. La belle journée au soleil se transformait en une lourde épreuve, un cauchemar. Pierre avait commencé son escalade. Les amis retenaient leur souffle, le regard fixé sur l’intrépide compagnon. Soudain, Pierre glissa. Les deux amis eurent le même sursaut de crainte et de surprise. Pierre se ressaisit. Il resta immobile durant quelques seconde. Puis, il reprit son ascension.

            — Reviennnnn… hurla l’un des copains.

         Mais Pierre n’entendait rien. De toute évidence, il ne voulait pas entendre. Jacques Bérengier bredouilla :

            — Il aurait mieux valu qu’il dégringole maintenant.

            — Oui... D’ici quelques mètres, il ne pourra plus revenir en arrière.

            Les amis regardèrent Pierre une dernière fois.

            — Allons à la Vigie... De toute façon, nous ne pouvons rien faire d’autre.

            Lorsqu’ils reprirent le chemin du sentier, il était environ onze heures.

            Le soir était venu, Pierre n’était pas encore là.

        Les deux jeunes gens décidèrent alors que l’un resterait sur place afin de s’occuper de Pierre, si celui-ci parvenait à vaincre l’obstacle, tandis que l’autre irait au village du Redon afin de téléphoner aux parents et demander de l’aide. Les caravanes de secours s’organisèrent très vite, quatre au total. Deux empruntèrent le chemin de la mer, l’une la route du Mont-Puget, la troisième la Gineste.  Il faisait nuit. Le corps de Pierre de Gasquet fut enfin retrouvé. Il gisait à la base d’un éboulis haut de 150 mètres. Le jeune homme semblait ne pas avoir souffert. Son visage était calme, ses paupières mi-closes. Rendu presque impossible par l’escarpement des pentes, le trajet jusqu’à la mer dura plus de quatre heures.

            — Ce fut atroce, avait dit un témoin.

            À l’aurore naissante, un canot ramena la dépouille jusqu’à Cassis où une automobile l’attendait pour l’emporter vers Marseille.

        La belle excursion d’automne allait laisser dans le cœur et l’esprit des deux amis une profonde blessure. Jules Brillet avait ramassé le couteau de Pierre. Et tandis que des larmes coulaient sur ses joues, il l’avait pressé sur sa poitrine.

            Ce souvenir, Jules le conserva toute sa vie.

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