SOUVENIRS DE VERO. LE DEFILE DE HAUTE COUTURE

               Les  yeux pleins de larmes, Marie se souvenait...

             C’est l’été... Elle se trouve comme toujours à Véro... Elle doit avoir treize ou quatorze ans. Avec une autre gamine du village, Marie-Dominique feuillette un catalogue venu de Paris. Marie-Do est attirée par les peignoirs, ils sont beaux, ils sont superbes. Les fillettes donnent leur avis. L’une voudrait bien le rose à dentelles, la seconde préfère le bleu avec des galons. Marie-Dominique est une petite malheureuse et cela, dans tout le village on le sait parfaitement. Cependant, les plus démunis ont le droit de rêver. Le rêve est un bonheur et, plus le rêve est profond, plus le bonheur est proche.

          Une vieille institutrice jamais mariée rôde dans les parages. Elle s’approche, elle se penche, elle attend. Marie-Do lève la tête. Elle voit au-dessus d’elle un visage laid, qui grimace dédaigneusement, elle voit des lèvres fines et sèches qui se veulent compatissantes, mais qui ne reflètent apparemment que du mépris. De ses lèvres jailliront des mots que Marie-Do n’oubliera jamais...

            — Tu ne dois pas regarder d’aussi belles choses, Marie. Elles ne sont pas pour toi, et tu dois dès à présent te mettre dans la tête que tu ne les auras jamais ! 

            Le séjour en Corse qui suivit le mariage de ma mère, fut ponctué d’un étalage de toilettes plus belles les unes que les autres. Marie-Do avait taillé dans les tissus précieux des robes superbes. Je me souviens avoir moi-même porté une robe de crêpe fleurie qui était une véritable splendeur et qui datait de cette époque.

       Marie-Do devait cette année-là se prélasser dans les peignoirs les plus somptueux, en prenant bien soin de se montrer à la méchante institutrice. Si Lùnetta avait été la première divorcée dans le petit village de Véro, sa fille Marie-Dominique avait, quant à elle, et sans même s’en rendre compte, effectué le premier défilé de haute couture.